Au commencement, Freud a trouvé les femmes étranges et puisquil avait un zizi et quaucune femme nen avait, lidée lui est venue tout naturellement que la cause de cette anomalie chez elles devait être labsence de pénis. Les femmes peuvent toujours hurler que cest faux ; puisque tout se passe dans leur inconscient, leur avis ne peut être pertinent. On en sourirait sans doute aujourdhui si quelques femmes navaient eu la malencontreuse idée de se faire disciples de Freud, probablement pour surmonter un quelconque complexe dinfériorité.
LInconscient a bon dos. Cest un concept qui permet à des pseudo-experts de transformer de simples opinions en vérités révélées. Toutefois, cette mise en avant lInconscient était, je dois lavouer, une idée de génie ; jurer au nom de la science que toute pensée procède du zizi est certainement un excellent moyen de susciter lintérêt des mâles orgueilleux. Inspiré de la sorte, on construit des châteaux dans les sables mouvants.
Je ne nie pas la réalité de lInconscient ; seulement, lidée nest pas de Freud. Elle a été empruntée à ses nombreuses lectures, puis accommodée suivant son intime conviction. LInconscient est un univers dont nous savons fort peu de choses, mais qui de toute évidence ne se limite pas aux histoires de sexe...
Les psychanalystes sont rarement issus de familles nombreuses. Ceci pour des raisons socio-économiques évidentes mais pas seulement. Chez moi, nous étions sept filles et quatre garçons. Je nai jamais remarqué ou entendu parler de sentiment dinfériorité chez les filles, ni quaucune de nous se soit intéressée à mon père. Le sexe était très éloigné de nos vies denfants. Les enfants nont pas besoin dhistoires amoureuses pour grandir sainement. Mon père était absent de la maison. Il était le père nourricier. La nature lavait fait physiquement fort pour cette mission. Loin de moi lidée de le juger, mais il est de fait que, dans notre univers denfants, limage de mon père évoquait davantage celle du Grand Méchant Loup que celle du Prince Charmant.
Bien sûr les garçons et les filles étaient physiquement différents, mais il ny avait à cela rien détrange. Il fallait une vache et un taureau pour avoir des veaux. Il était donc naturel que la nature ait fait des garçons et des filles. Il ny avait aucune rivalité de sexe, et quon ne vienne pas massurer que la rivalité était inconsciente. Alors moi aussi je peux vous fabriquer nimporte quelle théorie. Sil y avait déséquilibre dinfluence, la balance penchait plutôt en faveur des filles, mais peut-être était-ce le déséquilibre numérique.
Il y avait des garçons et des filles parce que la nature est riche en inventions. Elle a fait des insectes, des reptiles et des éléphants, elle a fait des légumes et des fruits, des coquelicots et des marguerites, pourquoi pas des garçons et des filles ? Nous ne trouvions absolument rien à redire à cela. Sans doute un habitat exigu pousse-t-il à se poser ce genre de questions, mais une enfant de famille nombreuse vivant entourée danimaux, dans une ferme au milieu des champs, est forcément médusée lorsquelle apprend à l'école que l'absence de pénis serait une tare. Pour elle, une idée pareille ne peut provenir que dune maladie de lesprit.
Une névrose de lâge adulte peut trouver sa cause dans un trouble sexuel de la petite enfance. Soit. Les maladies de notre civilisation sont nombreuses et variées. Et Freud était vraisemblablement un de ces cas chroniques mais le questionnement par rapport au sexe de lautre nest pas indispensable pour une enfance sereine. Je nai pas entendu dire que les enfants de familles nombreuses qui ont passé leur enfance à jouer à la marelle et à grimper aux arbres faisaient des adultes plus perturbés que les autres. Doù je me situe, jai plutôt le sentiment que les enfants de la campagne, grandissant loin des adultes, cest-à-dire plus autonomes, ont des histoires sexuelles moins complexes et plus naturelles que les enfants uniques nés dans des appartements quon devrait appeler des cages. Les enfants qui ont grandi très proches de la Nature reconnaissent plus volontiers la vie pour ce quelle est : un renouvellement perpétuel des générations, commun à tous les animaux, dont lHomme est un spécimen. Dans une famille nombreuse qui a de lespace à volonté, les parents ne sont généralement pas le centre de lintérêt des enfants. Il y a les aînés, le voisinage, les animaux et les plantes. Toutes les expériences concourent également à nourrir lInconscient.
A mon sens, quand le sentiment dinfériorité vient aux femmes, cest à cause de leur propre adhésion à la croyance que la force physique est le critère premier dans léchelle des valeurs humaines, ce qui nous renvoie au rang des Animaux. Le drame nest pas laffaire du psychanalyste, il est de nature spirituelle ; et quand je soupèse dun côté les bénéfices de luvre de Freud, et de lautre les dégâts causés chez les femmes, je ne sais pas très bien de quel côté penche la balance. Ce qui est sûr, cest quil a bel et bien repoussé aux calendes grecques la mort du patriarcat.