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ENTRE ‘PEDOPHILES’ ET PROXENETES


‘Pédophile’ est un trop joli mot. Le suffixe ‘phile’ signifie ‘celui qui aime’. Il faudra le remplacer dès que possible parce qu’un violeur n’a jamais été l’ami des enfants. Je dois utiliser ce mot pour que vous compreniez. Je vous demande de m’excuser ; pour cela, je vais tenter quelque chose : je vais me faire votre avocate. Si je me permets cela, c’est que j’ai aussi été un enfant et l’enfant que chacun a été ne meurt pas pour que naisse l’adulte. Non, il se tapit seulement comme une ombre et il observe sans rien dire, car il faut bien que les grandes personnes se battent pour trouver une place au soleil, comme les arbres dans la forêt. J’ai encore une autre bonne raison de plaider pour vous, c’est que j’ai aussi été un certain jour la victime de ces ‘pédovioleurs’ qui ont pour passe-temps favori de ‘jouer’ avec le sexe des enfants. Tiens ? Que pensez-vous de ce mot ? Il m’est venu sans que je le cherche, probablement m’est-il sorti du cœur.

J’avais donc une Maman qui a quitté l’école à l’âge de douze ans. Elle n’a pas voulu rester plus longtemps à la charge de mon grand-père qui devait travailler très dur pour nourrir toute la famille. Plus tard, elle s’est mariée et, comme les temps avaient changé, elle a pu apprendre que l’instruction des filles est un bien extrêmement précieux. J’ai de nombreuses sœurs et il n’était pas question de faire l’école buissonnière ou de répondre au professeur. Parce qu’un professeur, ça possède le savoir ; bien sûr, ce n’est pas le Bon Dieu mais quand même, ce n’est pas convenable de mettre un professeur en colère ou de lui faire perdre du temps.

A la maison, l’instruction était un luxe, les livres coûtaient trop cher, il n’y avait pas la télé, donc pas de Journal de 20 heures ; et le sexe n’existait pas non plus dans notre univers d’enfants. J’avais des frères et des sœurs mais c’était parce que la Nature était bien faite. Il faut des gros et des maigres, il faut des oiseaux, des fruits, des légumes et des milliers d’autres choses, sinon le monde serait très ennuyeux.

Un jour, le Directeur du collège nous a présenté un professeur qui enseignerait uniquement la gymnastique ; c’était pour nous très moderne d’avoir un professeur spécialiste de la gymnastique. Les classes n’étaient pas encore mixtes. En guise d’exercices d’éducation physique, notre nouveau professeur nous faisait des démonstrations étranges mais aucune fille ne paraissait étonnée. Un jour, il a annoncé qu’il avait une double casquette, qu’il était également médecin spécialiste du dos et que de nombreuses filles de l’école avaient un dos pas très droit. Je faisais partie des malheureuses et comme pour ma mère un professeur-spécialiste ne pouvait pas se tromper, il m’a fallu subir plusieurs dizaines de cours du mercredi pour arranger ça. Finalement, les vacances d’été approchant, notre spécialiste a jugé indispensable que nous nous déplacions à son cabinet pour faire un bilan. L’heure du rendez-vous venue, ma Maman a bien demandé si sa présence dans le cabinet pouvait être utile mais Monsieur le Docteur a dit que non. Monsieur le Docteur m’a posé un bandeau sur les yeux et voilà, le tour est joué, il n’y aurait jamais de témoin. Si je parlais, il dirait que tout cela n’était que fantasmes, que j’avais une imagination débordante, que je devrais être montrée à un psychiatre. Mais comment aurais-je parlé ? Qu’aurais-je pu dire ? J’avais alors treize ans et je ne suis même pas sûre que le mot ‘ sexe ’ avait un jour été prononcé devant moi. Bien sûr que cette journée est restée gravée dans ma mémoire, mais ce qui a traversé mon esprit ce jour-là est tout à fait éloigné des questions de sexe.

L’enfant que j’étais a découvert que son corps, son unique bien, était objet de convoitise, et elle a vu son agresseur, qui se croyait seul, changer subitement de visage. ‘Une pauvre enfant de la campagne, pas de crainte qu’on la croie.’ Voir un professeur que les parents respectent se métamorphoser en animal a de quoi marquer une petite fille à vie.

Avant de vous dire ce qui peut se passer dans la tête d’une petite fille de treize ans dans ces cas-là, je dois préciser deux ou trois choses : Il paraît que mon professeur de gymnastique n’a rien fait de très grave : les juges appellent ça des ‘jeux sexuels’ ; ensuite, j’ai tout lieu de penser que je n’ai pas été la seule victime, rien que cette après-midi-là. Et aujourd’hui, je réalise qu’aucun garçon de l’école n’avait une colonne vertébrale tordue.

Bien sûr, comme j’étais jeune et, somme toute, en bonne santé, mon expérience des cabinets médicaux était limitée, mais si on vous met un bandeau sur les yeux sans explication, vous vous demandez naturellement quel est le but de l’opération ; c’est donc par cette question qu’a débuté mon interrogation sur les garçons.

A la maison, même si l’argent était loin de couler à flots, ce n’était pas la misère. Le jardin nourrissait la famille, les enfants inventaient des jeux dans la Nature et nous avions du bois à volonté pour nous chauffer l’hiver. Je n’ai jamais entendu ma mère crier après les enfants. Pourtant quelque chose d’essentiel manquait et la plupart des parents ne se soucient pas de ce détail. Bien qu’en France aujourd’hui beaucoup d’enfants aient leur chambre personnelle, ils n’ont pas toujours un tiroir ou un coffre pour mettre leur courrier sous clé, un endroit où personne, pas même leurs parents, ne puisse avoir accès. Ce petit rien est selon moi aussi essentiel que la nourriture. Le respect de l’intimité affective d’un enfant est aussi impératif que le respect de son intimité physique.

Voici donc comment le rideau de mon enfance est tombé un jour, sans préambule. Voici comment mon cerveau a commencé à gamberger pour ne plus jamais s’arrêter. Car enfin, les enfants ne demandent pas à venir sur la Terre, rien ne leur appartient, ou s’ils possèdent quelque chose, ils savent qu’ils sont entièrement redevables à leurs parents. On trouve parfaitement naturel que les parents grondent les enfants, et à ce petit jeu-là, quoi qu’il arrive, les enfants ont toujours tort car un enfant, ça ne sait pas où est son bien. J’avais cru qu’en dépit de tout, mon corps au moins n’appartenait qu’à moi mais il n’en était rien. J’ai perdu en une quinzaine de minutes à l’âge de treize ans ce qu’il me restait d’illusions. Des étrangers avaient le droit de me déshabiller et de toucher les parties de mon corps les plus secrètes.

Ce n’est pas tout, j’avais toujours cru que le droit de se faire gronder était le prix à payer pour devenir sages à notre tour, quand nous serions devenus des grandes personnes. Ma naïveté s’est envolée d’un coup, les grandes personnes n’étaient pas du tout des gens sages. Ils jouaient à des jeux ridicules, ils tripotaient les enfants en cachette, c’était une maladie vraiment bizarre, sûrement un signe de maladie mentale. Toutefois, étant une petite fille, je savais que, quoi qu’il arrive, cette maladie ne pouvait toucher que les garçons. J’ai cherché une explication plausible et je me suis dit que les hommes n’appartenaient sans doute pas à la même espèce que les femmes, qu’ils devaient être en quelque sorte des demi-sauvages.

Mon regard sur le monde a fait une révolution en un jour. Il fallait se méfier des hommes et, bien qu’encore une enfant, je n’aurais plus jamais d’autre référence morale que ma conviction intime. Je ne me courberais jamais devant un homme, fût-il Président de la République, Pape ou Bouddha. En un jour, je suis devenue un adulte dans un corps d’enfant, et qui plus est, un adulte qui doit toujours être sur ses gardes car les adultes croient que je suis un enfant.

Les années ont passé. Par hasard, alors que j’avais plus de vingt ans, j’ai entendu un journaliste expliquer à la télévision que la police avait démantelé un réseau de vendeurs de photographies d’enfants. Je me demande si vous pouvez imaginer ma surprise. Comment était-ce possible qu’on envoie les gens en prison pour avoir vendu des photos d’enfants ? Que voulait-on faire avec des photos d’enfants ? C’est ce jour-là que j’ai entendu pour la première fois le mot ‘pédophile’. On disait qu’il y avait prescription, c’est-à-dire que la Justice effaçait la faute quand un crime remontait à plus de dix ans. Les législateurs sont des hommes qui pensent à tout !

C’est ainsi que les proxénètes, qui sont de fait des pédovioleurs, capturent les femmes pour vivre du commerce du sexe. Oui, c’est vrai, on peut devenir proxénète quand on est un pédovioleur aussi naturellement qu’un consommateur de haschich peut devenir trafiquant de drogue. N’oubliez jamais cela.



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